Méthodologie
Intentions et objectifs de l’étude
Dans un contexte de réchauffement climatique, les épisodes caniculaires vont gagner en fréquence et en intensité dans les années à venir. Les milieux urbains sont particulièrement frappés par cet aléa climatique à cause de leur morphologie particulière qui entraîne des phénomènes de surchauffe (îlots de chaleur urbain, dôme de chaleur, etc.).
Dès lors, la compréhension et l’identification de ces phénomènes d’aggravation des températures ont nourri de nombreuses études. Fort de ces approches montrant des expositions inégales des secteurs d’une ville à la canicule, nous nous sommes demandés : est-ce que ces espaces sujets à la surchauffe abritent des populations présentant des caractères de vulnérabilité ? Quelles sont les ressources mobilisables par les habitants dans un contexte de forte chaleur ?
N’étant pas particulièrement experts en climatologie urbaine mais issus de la politique de la ville, l’intention de l’étude est bien de produire un travail d’analyse à une échelle suffisamment précise comme outil pour permettre un travail de sensibilisation des élus, techniciens des collectivités, des associations ou habitants. Aussi la méthode décrite ici possède ses limites et ses biais que nous vous invitons à discuter, à critiquer dans un objectif d’amélioration future, n’hésitez pas à nous contacter en ce sens !
Nous avons dans un premier temps développé une preuve de concept (sur le territoire de Saint-Nazaire) pour valider les données du cas d’usage.
La solution propose de construire un indicateur d’exposition au risque caniculaire à partir de 2 indicateurs synthétiques, eux-mêmes composés de deux indicateurs :
Indicateur synthétique de Risque Caniculaire (IRC)
Un risque naturel est la rencontre d’un aléa climatique (canicule, inondations, etc.) avec des enjeux socio-économiques. Ce premier indicateur synthétique réunit les deux dimensions du risque et met en évidence leur cumul : la température lors d’un épisode caniculaire et la vulnérabilité sociale à la chaleur. Cet indicateur synthétique a pour objectif de mettre en avant les carreaux prioritaires en termes de risque brut.
Calcul de l’IRC : IAC+IVS
Indicateur d’Aléa Caniculaire (IAC)
Données : Landsat 8-9 (USGS) et Température quotidienne départementale (ODRE)
L’enjeu de l’étude était de trouver une source de données qui permette d’explorer une pluralité de territoires urbains en France et avec un niveau de précision suffisamment important pour alimenter une étude à l’échelle infracommunale.
Intérêt des données. Les données Landsat 8-9 présentent l’intérêt d’avoir une couverture spatiale importante, de collecter des images d’un même lieu tous les 16 jours, d’avoir une précision de 30m et d’être en accès libre.
Inconvénient des données. Les données Landsat donnent des données de température au sol qui ne sont pas nécessairement celles ressenties par les habitants et qui peuvent être influencées par des paramètres climatiques extérieurs comme le vent.
La fréquence d’images d’un lieu étant de 16 jours, il est difficile de réunir sur l’ensemble des 83 plus grandes aires urbaines des données sur des épisodes caniculaires d’intensité similaire. Les images ont été sélectionnées à partir du croisement entre les plus fortes températures quotidiennes départementales (2018-2024) et les images landsat disponibles sans couverture nuageuse.
Malgré ces limites, l’utilisation de données de températures a l’avantage de la performativité dans l’exercice de sensibilisation.
Méthode. La donnée de température brute par carreau apparaissait comme la donnée la plus évidente pour calculer l’indicateur d’aléa caniculaire puisque c’est la chaleur qui a un impact physiologique direct sur les habitants.
Cependant, en fonction de l’intensité de l’épisode caniculaire de l’image satellite disponible certains territoires apparaissent comme moins atteints par cet aléa alors qu’ils présentent tout de même des niveaux de températures bien plus élevés qu’ailleurs dans leur département. Afin de lisser cet effet lié aux données d’entrée, nous avons intégré un score de surchauffe urbaine (température moyenne du département - température moyenne du carreau).
- Calcul de IAC : (score de température + score de surchauffe)/2
- Calcul du score de température : classification de 0 à 20
- Calcul du score de surchauffe : classification de 0 à 10 de (température moyenne du département - température moyenne du carreau)
Indicateur de Vulnérabilité sociale (IVS)
Données : Filosofi 2019, données carroyées (INSEE)
L’enjeu de notre travail est de présenter un niveau de précision relativement bon afin d’identifier des secteurs urbains où se cumulent plusieurs facteurs qui nourrissent le risque de canicule. Cette précision a pour double intérêt de pouvoir alimenter un “pré diagnostic” localisé identifiant des thématiques/enjeux à creuser, mais aussi de favoriser une sensibilisation qui s’appuie sur des éléments de résultat appropriables parce que confrontables à des réalités vécues ou perçues.
Intérêt des données. Les données carroyées, permettent d’avoir sur l’ensemble des villes françaises un niveau de précision spatiale intéressant (200m) et sur une pluralité de données statistiques sociales, économiques, logement, etc.
Inconvénient des données. La mise à jour de ce jeu de données est assez lente. Au moment de l’étude, 2019 est le dernier millésime disponible en attendant la prochaine actualisation en 2025 avec les données de 2021.
Méthode. L’indicateur de vulnérabilité sociale est décomposé en 4 scores permettant d’explorer 4 dimensions des fragilités des populations dans un contexte de canicule. En amont de ces scores, les variables taux de pauvreté, de monoparentalité, de 0-3 ans, de 65-ans, de 80+ ans, de logements collectifs et le nombre de m² habitable par individu, sont résumés en un scoring de 0 à 10 dont les bornes des catégories ont été fixées selon la ventilation en déciles de l’ensemble des données traitées.
Score de vulnérabilité économique (IVSe)
La pauvreté affecte les ménages dans leur capacité à répondre aux fortes contraintes liées à la chaleur (pas de résidence secondaire, moins de mobilité, coût de l’équipement en climatisation, etc.). Ce score ne cherche pas identifier les secteurs en fonction de leur taux de pauvreté mais de mettre en évidence les secteurs qui cumulent une certaine pauvreté à d’autres indices de fragilité (âge, monoparentalité, condition de logement)
Calcul du score de vulnérabilité économique (IVSe) : (Score pauvreté * moyenne(score monoparentalité, score 0-3 ans, score 65-79, score 80+ ans, score de logement collectif, score de m² habitable par individu))/10
Score de vulnérabilité familiale (IVSfam)
Dans ce score nous avons voulu mettre en évidence les carreaux avec une surreprésentation de familles que l’on pourrait qualifier de fragiles en contexte de canicule puisqu’ils cumulent forte monoparentalité à une forte présence de 0-3 ans. Cette association de facteurs est augmentée dans les carreaux où se trouvent également une plus forte moyenne de pauvreté et conditions de logements défavorables.
Calcul du score de vulnérabilité familiale (IVSfam) : (score monoparentalité * score 0-3 ans * moyenne(score pauvreté, score de logement collectif, score de m² habitable par individu))/100
Score de vulnérabilité au grand âge (IVSa)
Le grand âge est un des facteurs de vulnérabilité les plus connus. Toujours dans un objectif d’identification de secteurs prioritaires, nous mettons en évidence dans ce score les secteurs avec une surreprésentation des populations de 65-79 ans et de 80+ ans cumulée à une plus forte moyenne de pauvreté et de conditions de logements défavorables.
Calcul du score de vulnérabilité familiale (IVSfam) : (score 65-79ans + score 80+ ans * moyenne(score pauvreté, score de logement collectif, score de m² habitable par individu))/20
Score de vulnérabilité au logement (IVSlo)
La vulnérabilité liée au conditions de logement est réduite à quelques données comprises dans le fichier Filosofi : le taux de logements collectifs et le nombre de m² habitable sur l’ensemble du carreau (ramené à l’individu dans notre étude). Ces données ne permettent pas d’être très précis sur la vulnérabilité qui peut être liée aux conditions de logements mais offre une première estimation des cumuls de ces caractéristiques avec la moyenne des scores socio-démographiques.
Calcul du score de vulnérabilité au logement (IVSlo) : ((score de logement collectif + score de m² habitable par individu) * moyenne(score monoparentalité, score 0-3 ans, score 65-79, score 80+ ans, score de logement collectif, score de m² habitable par individu))/20
Indicateur de vulnérabilité sociale (IVS)
L’indicateur vulnérabilité a pour objectif d’identifier les carreaux qui cumulent le plus de population avec plusieurs facteurs potentiels de fragilité face aux chaleurs
Calcul de l’IVS : moyenne des scores (IVSe, IVSfam, IVSa, IVSlo)
Indicateur synthétique d’environnement favorable en cas de canicules (IEC300)
Comprendre la géographie du risque caniculaire en croissant l’exposition à la chaleur et la vulnérabilité des populations habitantes permet d’identifier des secteurs où l’attention des acteurs publics doit être renforcée. Cependant, ces mêmes espaces offrent-ils des solutions, des ressources de proximités pouvant répondre aux besoins des habitants lors d’un épisode caniculaire ?
Calcul de l’IEC300 : moyenne (IEF, IAF300)
Indicateur d’Environnement Frais (IEF)
Données : Zones Climatiques Locales (LCZ) (CEREMA)
A partir des données de l’étude des zones climatiques urbaines (LCZ) publiées par le CEREMA, l’IEF a pour objectif de qualifier la qualité de l’environnement de chacun des carreaux dans un contexte de canicule.
Intérêt des données. Le CEREMA a produit des données qui recouvrent les 83 aires urbaines de plus de 50.000 habitants. Ce travail nous permet d’accéder à des données prétraitées à l’échelle d’îlots homogènes sur les critères de la densité et de la hauteur du bâti, de % de végétation, de couvert arboré et de surface en eau notamment. Ce sont ces données qui seront remobilisées dans le calcul de l’IEF dans lequel nous souhaitons accorder une place plus importante à la présence d’espaces bleus et verts.
Inconvénient des données. Le découpage géographique des données LCZ est différent de celui des carreaux sur lequel nous travaillons. En effet, les données sont produites à l’échelle d’îlot homogène d’un point de vue de la morphologie urbaine et la transcription à l’échelle du carreau impose des approximations. Un test de contrôle a été réalisé en partant des données COSIA pour mesurer les écarts. Ceux-ci restent limités et préservent les proportions des données affichées à l’échelle d’un EPCI.
Méthode. Pour évaluer la qualité de l’environnement d’un carreau, 4 scores sont produits :
- Un score de morphologie urbaine (1-10) calculé à partir de la méthode des LCZ.
- Un score de surfaces en eau (0-10) classé en fonction de la part d’eau dans un carreau
- Un score de surfaces arborées (0-10) classé en fonction de la part d’arbres dans un carreau
- Un score de surfaces d’espaces verts ras (hors couvert arboré) (0-10) classé en fonction de cette part dans un carreau
Le calcul de l’IEF est pensé pour mettre en évidence les secteurs qui cumulent un morphologie urbain dense et une absence d’espaces bleus et verts. Les scores des espaces arborés et en eau sont plus fortement pondérés que les espaces verts ras puisqu’ils sont plus fortement source de fraîcheur (ombre, eau).
Calcul de l’IEF: (Score_morphologie *((Score Espaces Vert ras+((Score arbre+Score eau) * 1.5))/1.6))/10
Indicateur d’accessibilité à 300m des lieux ressources (IAF300)
Les données environnementales sont essentielles pour appréhender le contexte habitant en cas de canicule, cependant dans un milieu urbain tous les espaces verts ne sont pas accessibles et ne profitent pas à tous les habitants qui pourraient rechercher de la fraîcheur en soirée. L’indicateur d’accessibilité à 300 mètres (env. 10 min. à pied pour une personne à mobilité réduite) a l’objectif de recenser la proximité d’équipements, totalement ou partiellement ouverts, pouvant être ressource pour les populations. Ces lieux peuvent être :
- des lieux extérieurs publics source de fraîcheur (parc, piscines, jardins partagés, zone de baignade, fontaines, etc.)
des lieux intérieurs source de fraîcheur mais avec une restriction d’accès (Centres commerciaux, théâtres, cinémas, etc.) - des équipements publics pouvant apporter de l’information en proximité (mairies, centres sociaux-culturels, etc.)
- des lieux de soin accessibles (hôpitaux, centre de santé, cliniques, pharmacies)
- des équipements publics mobilisables dans un contexte de crise (équipements scolaires, etc.)
Intérêt des données. Les données de lieux fournies par Openstreetmap permettent d’accéder sur l’ensemble des territoires aux données de lieux (ponctuels ou surfaciques) de différentes nature (publics ou privés) ou de différentes fonctions.
Inconvénient des données. La collecte et la mise à jour des données est soumise à la qualité et la régularité des contributions
Méthode. Pour le calcul de l’indicateur final IAF300, un score est calculé pour chacun des types de lieux. En prenant en compte une zone de 300m autour des lieux de chacune de ces catégories, la part de cette surface recouvrant chaque carreau est calculée. En fonction de cette proportion de couverture, un score est calculé (de 0 avec aucune couverture à 10 avec plus de 90% de couverture de la zone d’accessibilité).
Nous avons choisi de définir une pondération en fonction des différents types de lieux qui dépend du potentiel de fraîcheur, d’information ou de soin et de leur niveau d’ouverture (public/privé)
Calcul de l’IAF300 : ( ((4* “score lieux frais extérieurs” ) + (3*“score equipements publics”) + (3* “score lieux intérieurs frais” ) + “score lieux publics mobilisables” + (5*“score lieux de soin”))*10)/160
Indicateur final. Risque et environnement en contexte de canicule
L’indicateur final est un croisement entre les deux indicateurs synthétiques de risque caniculaire (IRC) et d’environnement en contexte de canicule (IEC300) matérialisé dans un croisement bivarié en 16 classes. Il permet d’identifier quatre types de configuration :
- Des secteurs critiques qui cumulent un fort risque caniculaire (vulnérabilité et chaleur), un environnement et un accès défavorable à des lieux ressources
- Des secteurs favorables qui cumulent un faible risque caniculaire, un environnement et un accès favorable à des lieux ressources
- Des secteurs où le contexte favorable répond à un fort risque. Ils sont caractérisés par un risque caniculaire élevé mais où environnement et l’accessibilité à des lieux ressource y sont favorables
- Des secteurs avec un faible risque dans un contexte défavorable. Ils sont caractérisés par un risque caniculaire faible mais où environnement et l’accessibilité à des lieux ressource y sont défavorables